dimanche 20 juin 2010

LA SYMETRIE RETROUVEE DU pont D’APOLLODORE DE DAMAS sur le Danube


Le pont de pierre sur le Danube était absolument symétrique, les piles culées situées sur les berges du fleuve étaient identiques, des massifs de maçonnerie percés de trois arcades en plein cintre.

Cette disposition est connue pour la rive droite, côté serbe.

Côté roumain, sur la rive gauche du Danube, la reconstitution réalisée par l’ingénieur français Edgar Duperrex en 1906 après l’étude des vestiges du pont, encore visibles à l’époque, présente un massif de maçonnerie percé de deux arcades, une petite et une grande, deux fois plus large que la première.

Un portail traité en arc de triomphe surmonté de trophées marque l’accès au pont.



Le bas relief représentant le pont sur la Colonne Trajane ne permet pas de cerner clairement les dispositions exactes de l’ouvrage. Pour le sculpteur, le fait que les soldats romains aient déjà passé le fleuve était plus important que le pont même, représenté schématiquement en arrière plan de la scène.



En partant du dessin de Duperrex, inexact, les représentations ultérieures des piles culées situées sur la rive gauche du fleuve sont en leur majorité fausses.

Le pont apparaît asymétrique.

Et pour cause, Duperrex a réalisé son dessin en 1906, 30 ans après la mise en service de la voie ferrée Turnu-Severin-Craiova (1876). Or, précisément au milieu de la "grande arcade" passait la voie ferrée.

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Entre 1980 et 1982 le Bureau d’Etudes et Recherches de l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts "Nicolae Grigorescu" de Bucarest a réalisé une étude concernant les ruines du pont d’Apollodore de Damas et du castre romain situé à proximité afin de proposer la sauvegarde des vestiges menacés par les eaux du lac de la centrale hydroélectrique de Portes de Fer II, alors en construction.

Jeune architecte, chargé de l’étude des ruines du pont romain, j’ai réalisé le relevé des ruines conservées sur la rive gauche du Danube.

J’ai été intrigué par la dissymétrie de l’ouvrage présentée par les documents graphiques ou photographiques que j’ai pu consulter à cette occasion.

Il s’agissait d’un pont stratégique à usage principalement militaire construit loin de Rome par des soldats forcement non qualifiés pour ce genre d’ouvrage.

L’empire romain était à son apogée, son savoir-faire et ses capacités techniques étaient phénoménales pour l’époque. Absolument rien ne pouvait empêcher la construction d’un pont symétrique, les piles culées des deux rives étaient logiquement identiques.

Cette dissymétrie ne me plaisait pas. Cela ressemblait à du bricolage. Du bricolage romain de cette ampleur? …du jamais vu.

Le relevé réalisé in situ a confirmé que la largeur de la "grande arcade" était strictement égale à deux fois la largeur de la petite arcade plus la largeur de la pile conservée entre les deux arcades.

J’ai demandé alors à M. Aurel Teodorescu, architecte en chef du bureau, de faire les démarches nécessaires pour la réalisation d’un sondage manuel sous la voie ferrée afin de trouver les ruines de la pile inconnue jusqu’alors.

Les services spécialisés des Chemins de fer roumains ont réalisé le sondage après avoir arrêté la circulation des trains sur cette voie, fait exceptionnel pour l’époque.

Résultat des fouilles : Les vestiges de la pile manquante ont été retrouvés à l’endroit indiqué, sous le ballast de la voie ferrée.

Pourquoi Duperrex ne les a pas trouvés ? Parce-que il ne les a pas cherchés.

La plaquette de présentation du projet a été réalisée en tenant compte de cette découverte.

Cette plaquette ainsi que les différents rapports sont probablement conservés toujours dans les archives de l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts "Nicolae Grigorescu" de Bucarest.

Personnellement j’ai participé à la réalisation de cette plaquette en dessinant les élévations du projet de restitution partielle de la tête de pont. Le projet n’a pas été réalisé.


Les descriptions ou les représentations du pont antique qui ne tiennent pas compte de cette symétrie sont désormais fausses...